La société civile immobilière (SCI) fait les beaux jours des investisseurs immobiliers. Si cette forme de société a le vent en poupe, encore faut-il bien connaître son fonctionnement ! Voici une jurisprudence récente qui rappelle que les associés se doivent de mesurer les risques à leurs engagements financiers.
Le naufrage d’une société civile immobilière…
Les faits sont les suivants : les associés d’une SCI se sont lancés dans l’achat d’un terrain et ont entamé de grands travaux pour le transformer en locaux commerciaux. Ils ont donc conclu un contrat de crédit-bail avec des établissements financiers, dont la société BPI financement. Mais quelque temps plus tard, la SCI se trouve incapable de payer ses dettes et finit en liquidation judiciaire.
Elle assigne donc les crédits-bailleurs en responsabilité pour manquement à leur devoir de mise en garde et de conseil lors de la signature du contrat de crédit-bail.
Les consorts de la SCI sont déboutés de leurs demandes devant la Cour d’appel de Paris le 22 février 2018.
Ils portent l’affaire devant la Cour de cassation. Dans un arrêt n°18-15.398 du 19 septembre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette également le pourvoi des consorts de la SCI. Plusieurs arguments sont avancés pour rejeter le pourvoi. Examinons les deux principaux.
Les limites de l’obligation de mise en garde au sein d’une SCI
-Le devoir de mise en garde ne bénéficie qu’aux profanes
Premièrement, la Cour de cassation avance que le devoir de mise en garde ne peut pas bénéficier à des personnes « averties ». En l’espèce, c’était bien le cas du représentant légal de la SCI. Il dirigeait plusieurs sociétés et avait déjà réalisé des opérations financières du même genre auparavant.
La Cour de cassation suit ici une idée classique qui innerve tout le droit des obligations : le devoir de conseil vise à avertir d’un risque d’endettement excessif et ne s’applique pas pour les professionnels présumés conscients de ce risque. Il est limité aux seuls « profanes », c’est-à-dire au sens de la jurisprudence, à des personnes non habituées des affaires et donc peu à même de mesurer la teneur de leurs engagements financiers… La Haute Juridiction avait d’ailleurs déjà jugé dans le même sens pour des faits similaires concernant une société en nom collectif (SNC) (voir Cass. com., 11 avril 2018, n° 15-27.133).
– Le devoir de mise en garde s’apprécie au regard du représentant légal de la SCI
Deuxième argument, les consorts de la SCI invoquent le fait que chaque associé de la SCI aurait dû être prévenu du risque qu’il prenait individuellement. Selon eux, lorsque le contractant est une société civile où chaque associé répond indéfiniment de ses dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social, chaque associé non averti aurait dû bénéficier du devoir de mise en garde. Ceux-ci invoquent donc leur inexpérience et leur méconnaissance du risque financier pris par leur dirigeant.
La Cour de cassation rejette l’argument au regard des articles 1382 et 1857 du Code civil ainsi que de l’article n°1 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, peu importe que les associés soient tenus solidairement des dettes sociales, seule la SCI peut invoquer la violation du devoir de mise en garde et non ses associés individuellement. Cette obligation de mise en garde s’apprécie alors en la personne du représentant légal uniquement, quand bien même tout le monde doit payer au final. Et comme le représentant légal de la SCI était un professionnel compétent, la Cour de cassation considère que le prêteur a correctement appliqué le devoir de mise en garde sans faute aucune. Autrement dit, impossible d’échapper à ses dettes !
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Finalement, on voit bien que le devoir de mise en garde des associés n’est pas un paravent derrière lequel se cacher facilement en cas de problèmes financiers… Les associés d’une SCI doivent donc bien mesurer les risques financiers qu’ils prennent et s’informer par eux-mêmes. La Cour de cassation montre ainsi qu’elle n’est pas prête à excuser toutes les erreurs et invite les associés à prendre leurs responsabilités.
> Consulter l’arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation du 19 septembre 2019